Le plus difficile, dans le métier, c’est les adieux. Quand tu les as connus tout jeunes, pleins de fougue et sans beaucoup de cervelle, et que tu les vois à la grille avec leurs petites valises qui contiennent deux fois rien, prêts à se lancer en solo, ça t’en fout à chaque fois un coup. On s’embrasse, on essuie maladroitement quelques larmes, on a un bon mot ou une enveloppe froissée à serrer dans la main pour ne pas craquer. « On se reverra bientôt! Dès que je suis installé, je t’appelle! » Certains appellent, oui, mais personne ne revient. Et au bout de deux silences gênés, on se quitte sans avoir pu se dire vraiment au revoir. Alors, on retourne à l’intérieur et on appelle un nouveau pour lui demander de nous montrer ce qu’il vient d’apprendre. Et on oublie ceux qui sont partis. Comme ils nous oublieront à leur tour. Et la roue continue de tourner. En piste!

Les Anges Anonymes

– Bonjour, je m’appelle Hermann et j’ai besoin d’aide. J’ai été chargé d’intervenir sur un cas difficile. Une ado à remettre dans le droit chemin. La gosse picole avec ses copines de 3èmeB, passe son temps à humilier et ridiculiser celles qui ne font pas partie de sa cour. Elle veut devenir influenceuse à Dubaï, vous voyez le genre…
A la maison c’est Attila: elle déglingue tout sur son passage, avec une préférence pour le vivant: ses parents, son petit frère, la mémé à moitié sourde. Tout le monde y passe.
Je n’y arrive pas. Le coup de Jiminy Cricket avec elle ça ne marche pas, si je lui chuchote un conseil dans le creux de l’oreille, elle visse ses écouteurs bien profond et met Jul plus fort. Je ne fais pas le poids.
– Lâche l’affaire, Hermann. Même en te coupant en quatre tu ne pourras rien y faire, c’est une peste. On va te brancher sur un autre cas, tinquiète. Qui veut prendre la parole?
– Bonjour, moi c’est Gaby, c’est ma première fois.
– Bonjour Gaby!

Comme cinq notes de musique les ailes jouent dans la lumières,
La petite et celle qui s’étire ou encore une toute ramassée SI DO SOL LA MI
Et voilà que celle de droite est passée devant la grande brune de gauche, les ailes fermées DO MI RE
Un silence et Mi FA SI DO, ça bouge!
Est ce un air de jazz ou de groove?
Personne ne les écoute … Un ange passe…
Maintenant à toi de tendre l’oreille
et d’ouvrir les yeux…Peut-être que les anges sont là juste à côté de toi!

Les corps, je les ai laissés sur place. C’était beaucoup plus simple pour le transport. Et de toute façon, avec de gros morceaux de barbaque, ça ne se vendrait pas. Ce serait moche et la conservation des chairs serait bien trop compliquée. Et puis, ça a beau être des anges, ça ressemble quand même beaucoup à des êtres humains. Je ne veux pas d’ennuis avec les flics. Donc j’ai juste découpé la partie du dos qui supporte les ailes. J’ai tanné la peau et j’ai mis un peu de formol pour que ça ne pourrisse pas. Le plus fastidieux, ça a été de laver les ailes de la moindre goutte de sang. Il faut être très délicat pour que les plumes ne se délogent pas. Je me suis bricolé ce séchoir avec un lot de vieux porte-manteaux d’école glanés sur le bon coin. J’ai déjà des acheteurs, ça va se vendre à prix d’or. Avec le pactole, on se barre au Mexique.

Temps étrange! Je ne me souviens plus quelle pandémie avait interdit les anges de sortie. Alors, avec une patience… d’ange, ils ont attendu, un ordre d’en haut en regardant les ailes au clou.Ce n’était pas un joyeux port’ailes. Même en ayant l’éternité pour soi on s’ennuie quand on reste chez soi, au Paradis comme ailleurs.Plus aucun ange ne passant, les hommes parlaient, parlaient , parlaient. or même au ciel c’est une chose bien connue, plus on parle plus on dit de sottises. Dans son laboratoire, Saint Pierre abasourdi par ce vacarme, chercha et cherche encore un vaccin contre la connerie. (mais son dernier rapport ne laisse pas beaucoup d’espoir). Il parait que de dépit tous les anges se sont mis à boire.